Métaux rares : innovation et localisation, des filons à exploiter.

Par Serge Moëlo – Maire de Silfiac – Membre fondateur de l’Institut de Silfiac

L’ordinateur sur lequel je tape ces mots fonctionne grâce à des métaux rares.
Je ne peux m’empêcher d’imaginer que des travailleurs, parfois des enfants, harassés, épuisés, ont peut-être laissé leur vie pour que je puisse taper sur ce clavier aujourd’hui. Il me vient des images de corps noirs, amaigris, maculés de boue, dont les galeries d’extraction minière sont parfois les tombeaux. « Cash Investigation : les secrets inavouables de nos téléphones portables » présenté par Elise LUCET [1] ; c’est depuis la diffusion de ce magazine que ces images résonnent dans ma tête.

Et voilà qu’aujourd’hui, après la Centrafrique, notre monde rural du Centre Bretagne devient aussi la cible des multinationales avides de profit. Elles sont prêtes à exploiter un nouveau filon, celui du déficit français en matière de métaux rares. On nous dit que tout ceci est pour notre bien, pour l’opportunité des retombées économiques. Je sais au moins que dans bien des endroits du monde, ces extractions font fi des valeurs humaines, et exploitent les sous-sols sans contrepartie locale positive. Tout comme on adaptera ici les procédures dépassées d’un code minier inopérant, mais toujours en vigueur, ces entreprises adapteront leurs pratiques à notre situation. Bien sûr, chez nous le contexte est différent. Ainsi, ces mêmes méthodes y seront mises en œuvre mais de manière moins violente.

Le code minier, d’avis unanime réputé obsolète, ne permettra pas aux élus locaux, et encore moins à la population locale, de s’appuyer sur une règlementation claire pour cadrer les pratiques de ces multinationales. Il est, de plus, incompatible avec les directives européennes et les engagements de la France sur la convention d’Aarhus relative à l’accès du public à l’information et la participation citoyenne [2].
L’Etat lui-même, considérant que le « code minier » n’est plus d’actualité, a affirmé vouloir le retravailler. Emmanuel MACRON – ministre de l’économie – affirme : « l’exploitation minière n’a de sens que lorsqu’elle s’inscrit dans un projet de développement durable des territoires. (…) Les progrès considérables réalisés en matière de sécurité, de protection de l’environnement, de mécanisation et de numérisation, peuvent et doivent faire évoluer les représentations sur l’exploitation minière qui reste encore trop souvent associée aux traumatismes du passé » [3].

Nous attendons donc que les élus locaux ainsi que leurs concitoyens bénéficient d’un cadre législatif sécurisant, les associant à la démarche, imposant transparence et conformité avec la législation européenne. Par ailleurs, au nom de notre intérêt économique supérieur, des populations de pays en voie de développement sont victimes de démarches pour le moins irrespectueuses, souvent violentes. Il est nécessaire qu’une loi appliquant les principes de la R.S.E. (Responsabilité Sociale des Entreprises) oblige les multinationales à respecter les populations en Afrique, en Asie, et partout dans le monde.

Le contexte idéologique dominant actuel engendre une notion « d’utilité publique » construite sur une conception très étroite de l’économie particulièrement déshumanisée.
Nous avons le sentiment que les élus locaux et la population du Centre Bretagne sont niés, de plus en plus tiers-mondialisés ; notre espace n’intéresse plus les décideurs, sauf lorsqu’il s’agit de venir éventuellement y exploiter les richesses naturelles ou y installer, par exemple, des usines à capitaux chinois au détriment des dynamiques locales. Pour leur survie, les populations métropolisées ont de plus en plus de besoins. Les limites de la logique de concentration urbaine doivent être sans cesse repoussées. Notre modèle économique, et donc sociétal, est organisé de manière à répondre à la soif de toujours plus de profits concentrés aux mains de quelques uns au détriment du bien commun.
Le malaise est profond car, au-delà des addictions numériques et consuméristes de nos contemporains, c’est tout le système dont ils sont victimes, et qui justifie la notion d’utilité publique en matière de recherche minière, qui pose question.
Les moyens mis au profit de ces démarches exogènes pourraient être utilement consacrés à la création de véritables filières de recyclage et à la recherche de métaux rares ailleurs que dans les sous-sols. La revue Alternatives économiques relate que « Produire des lingots à partir de minerai nécessite deux à dix fois plus d’énergie que si l’on recycle. (…) Si les taux de recyclage de 18 éléments très courants – fer, cuivre, aluminium, plomb, or, argent… – dépassent déjà les 50 %, ils restent dramatiquement faibles pour la plupart des métaux jouant un rôle clé dans les technologies de pointe, souligne un récent rapport du programme des Nations unies pour l’environnement » [4].
Au-delà du recyclage, il y a aussi le filon de pollutions urbaines. Le chimiste Pierre HERCKES de l’université de l’Arizona (Etats Unis) affirme que pour 34 éléments (sur 60 étudiés) : « la concentration en or des sous-sols urbains est comparable à celle de certaines mines exploitées ». VEOLIA estime, à partir d’aspirations de poussière réalisées dans quelques rues à Birmingham, être en capacité d’y extraire 1,5 kg de platine par an (Richard KIRKMAM). La chercheuse Hazel PRICHARD, géologue, université de Cardiff , considère que « certaines zones (bas-côtés des routes urbaines) affichent des teneurs en platinoïdes proches de celles de rares gisements exploités ». Dans l’article de « Science & vie » [5] de juillet 2015 qui relate ces témoignages, on énumère toutes ces pistes prometteuses que constituent les résidus industriels, déchets médicaux, rejets des transports routiers, boues d’assainissement, et déchets domestiques… Notre société fait subir à nos contemporains des conditions de vie assimilables à ce que nous, les ruraux, percevons comme des situations d’élevage intensif. Elles sont justifiées par la rationalisation économique et sont productrices de concentrations en tous genres. Dans ce contexte, les conditions sont réunies pour que nous y développions les logiques de l’économie circulaire ?
On voit bien que la pensée unique, opposant environnement et économie, nous ferme l’esprit et nous empêche de mettre en œuvre des démarches plus vertueuses. Comme l’a si bien dit le ministre de l’économie, « l’exploitation minière n’a de sens que lorsqu’elle s’inscrit dans un projet de développement durable des territoires ». Le développement durable, c’est ne pas hypothéquer l’avenir, c’est ne pas céder aux sirènes des profits à court terme, c’est penser aux générations futures et ne pas épuiser la ressource, mais c’est surtout remettre l’économie au service de l’homme et non pas l’inverse.

notes
[1] Elise LUCET – « Cash investigation » diffusé le 4 novembre 2014.
[2] La convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, a été signée le 25 juin 1998 par trente-neuf états, dont la France.
[3] Communiqué de presse du Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, N°493, le 24 mars 2015.
[4] Alternatives économiques – N° 304 – juillet 2011.
[5] Sciences&Vie – juillet 2015.
Cash investigation – Les secrets inavouables de nos téléphones portables

Cash investigation – Les secrets inavouables de nos téléphones portables

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